Nous vous avons informés à travers plusieurs articles d’un projet de la direction de création d’un nouveau GIE commun. Le 15 décembre s’est déroulée une réunion du CSE durant laquelle la direction a présenté ses arguments juridiques.
Les sujets traités :
- Le contexte
- Voici une synthèse des arguments avancés par la direction.
- Le principe de spécialité.
- Les contraintes du RGPD.
- La directive distribution assurances
- Le démarchage téléphonique.
- Les solutions envisagées :
- Analyse de la CFDT
Le contexte
Le groupe est constitué de 11 entités assureurs différentes sans compter AGMUT.
AG2R Prévoyance est une institution de prévoyance régie par le Code de la Sécurité Sociale et fait appel à un GIE spécifique, le GIE AG2R. Le personnel employé par le GIE est sous la convention collective des RC IP. Une UES est constituée avec le personnel employé par la caisse de retraite complémentaire AG2R AGIRC ARRCO.
LA MONDIALE est un assureur mutualiste, régi par le code des assurances. Le personnel est employé par un GIE spécifique, le GIE LA MONDIALE groupe, sous couvert de la convention collective des assurances.
VIA SANTE est une mutuelle, régie par le code de la mutualité. Le personnel est employé directement par VIA SANTE, sous couvert de la convention collective de la mutualité.
Voici une synthèse des arguments avancés par la direction.
Le principe de spécialité.
En application du principe de spécialité figurant dans les trois Codes régissant nos activités (Code des assurances, Code de la mutualité, Code de la Sécurité sociale), un organisme d’assurance est fortement contraint dans sa capacité de distribuer les produits d’un autre assureur. Les marges de manœuvre laissées par la réglementation sont variables suivant la forme sociale de l’assureur (avec une gradation sensiblement différente suivant qu’il s’agit d’une société anonyme, d’une société d’assurance mutuelle, d’une mutuelle du code de la mutualité ou d’une institution de prévoyance).
Le principe de base est que chaque assureur ne peut distribuer que ses propres contrats.
La distribution de contrats portés par d’autres assureurs constitue une dérogation à ce principe de spécialité. La dérogation est :
• Permise pour les sociétés anonymes et les sociétés d’assurance mutuelle dès lors que
le volume distribué reste limité et accessoire (L 322 2 2 et R 322 2 Code des assurances)
• Permise de manière plus restrictive pour les mutuelles livre II (L 116 1 Code de la mutualité qui évoque une autorisation de présentation de garanties et non une distribution de contrats d’assurance)
• Interdite pour les institutions de prévoyance (L 931 1 et R 931 1 1 Code de la sécurité sociale).
Actuellement le groupe effectue des ventes croisées entre ses différentes entités (le GIE AG2R vendant des produits ARIAL, le GIE LM vendant des produits AG2R P, les deux vendant des produits VIA SANTE…). Le principe de spécialité ne serait donc pas respecté.
Ainsi,
- les sorties de Groupe sont apportées par AG2R Prévoyance à VIASANTE Mutuelle,
- le multi-équipement existe entre assurés La Mondiale et assurés La Mondiale Retraite Supplémentaire (LMRS),
- la commercialisation de contrats Prima, filiale d’AG2R Prévoyance, est réalisée par les réseaux commerciaux internes,
- la commercialisation de contrats Arial CNP Assurances est assurée par le réseau MDE du GIE AG2R.
- la commercialisation des contrats FLEXEO Via Santé est assurée par le marché MdPRO de LM
- les contrats prévoyance AG2R P sont vendus par le marché MdPRO
- …
La conclusion de la direction est que les ventes croisées entre AG2R P (institution de prévoyance) et LM (société d’assurance) seraient interdites car l’IP ne peut pas vendre de produits d’autres assureurs. Les ventes par VIA SANTE (mutuelle) de produits AG2R ou LM seraient restreintes fortement et les ventes LM devraient être limitées.
Les contraintes du RGPD.
Le RGPD impose :
- De traiter le stock des consentements, qui sont obsolètes au bout de 3 ans pour les prospects, des mesures de remédiation sont nécessaires
- De demander des consentements préalables pour l’échange des données entre les 2 GIE pour les nouveaux clients,
- De loger des moyens et autonomies décisionnelles au sein de chaque GIE afin que ces derniers puissent être qualifiés de responsables de traitement conjoint (qualification nécessaire au titre du RGPD).
Pour la direction la structuration actuelle du groupe génère des difficultés juridiques liées à la qualification de responsable de traitement conjoint et rend complexe l’éditique réglementaire. Par ailleurs, il faut sécuriser des processus de gestion différents des données.
Plutôt qu’une interdiction ou une restriction comme celles posées par le principe de spécialité, la contrainte du RGPD se heurterait là plutôt à une complexité liée à la multiplicité des réseaux de distribution.
La directive distribution assurances
La DDA oblige l’assureur en tant que à :
- Garantir la compétence des collaborateurs : capacité professionnelle initiale, formation continue
- Garantir la maitrise des produits gouvernance et surveillance des produits
- Garantir la protection des clients : information et conseil.
Les processus sont à décliner par distributeur.
Ainsi, de même que pour les contraintes liées au RGPD, les difficultés seraient liées là à la complexité de notre organisation. Pour la direction, le nombre de distributeurs au sein du Groupe oblige à multiplier les mandats de commercialisation et l’ensemble des processus associés à la distribution y compris l’éditique règlementaire. La DDA oblige aussi à sécuriser des processus opérationnels différents.
Le démarchage téléphonique.
L’article L 112 2 2 du Code des assurances stipule que dès lors que le démarchage est à destination d’un prospect, un processus de commercialisation spécifique s’applique :
- Pas de conclusion lors du premier appel téléphonique
- Délai de réflexion de 24 heures avant nouveau contact
- Pas de conclusion lors d’un appel téléphonique ultérieur
Un régime dérogatoire existe lorsque le distributeur est lié au souscripteur par un contrat en cours.
Pour la direction, la réglementation démarchage téléphonique est applicable aux prospects. Le client de chaque GIE est donc considéré comme un prospect pour l’autre GIE. Il en résulte un impact négatif et significatif sur le taux de transformation des contrats.
Les solutions envisagées :
Cette partie de l’article contient des informations données lors de différentes réunions avec la direction (notamment les 6 et 14 novembre) et une interprétation des conséquences possibles par la CFDT. Lors de la réunion CSE du 15 décembre, la direction n’a pas voulu débattre sur les scénarios possibles, en argumentant qu’elle ne pouvait pas le faire avant que le Conseil d’administration se soit positionné.
Un premier scénario : immatriculer à l’ORIAS les 2 GIE .
La solution serait d’immatriculer en tant que mandataire auprès de l’ORIAS les deux GIE existants.
Chaque assureur du Groupe devra adhérer aux deux GIE et leur délivrer un mandat de commercialisation.
Les GIE « Oriassés » devenant distributeurs pour l’ensemble des entités du Groupe qui y adhèrent, ce scénario permet de résoudre le sujet du principe de spécialité.
Second scénario : créer un GIE commun.
Un second scénario serait de réunir les moyens (dont le personnel) des deux GIE AG2R et La Mondiale Groupe dans une nouvelle structure commune immatriculée à l’ORIAS.
Chaque assureur du Groupe devra adhérer au GIE et lui délivrer un mandat de commercialisation.
Les processus existants devront être adaptés à ce nouveau schéma, avant l’immatriculation du GIE à l’ORIAS.
A noter que dans chacun des deux scénarios n’est traitée l’entité VIA SANTE.
Comparatif des scénarios envisagés en fonction des arguments avancés par la direction.
Scénario ORIAS | Scénario GIE commun | |
Principe de spécialité | Les GIE « Oriassés » devenant distributeurs pour l’ensemble des entités du Groupe qui y adhèrent, ce scénario permet de résoudre le sujet du principe de spécialité. | Le GIE devenant distributeur pour l’ensemble des entités du Groupe qui y adhèrent, ce scénario permet de résoudre le sujet du principe de spécialité. |
RGPD | Cette dualité de GIE ne règle pas le sujet du partage total des données au sein du Groupe.Il restera impératif d’avoir des consentements préalables pour l’échange des données entre les 2 GIE, Ce schéma dual obligera le Groupe à loger des moyens et autonomies décisionnelles au sein de chaque GIE afin que ces derniers puissent être qualifiés de responsables de traitement conjoint (qualification nécessaire au titre du RGPD). | Le passage à un GIE commun permettrait de résoudre des points structurants : Pour l’avenir la centralisation de la gestion des données des clients et prospects permettra une faculté de multi-équipement notamment au titre de l’obligation d’accompagnement et de conseil des clients. Le passage à un distributeur unique permet de supprimer les difficultés juridiques liées à sa qualification de responsable de traitement conjoint et simplifiera l’éditique réglementaire, Par ailleurs, cette centralisation sécurisera totalement les processus de gestion des données qui seront réduits et plus simples à piloter dans la durée. |
DDA | Le nombre de distributeurs au sein du Groupe serait réduit de 11 à 2 (hors Domitys, et LMEP). Les obligations réglementaires DDA des distributeurs (information, conseil, transparence) sont impératives. La dualité de GIE nous obligera à dédoubler les mandats de commercialisation et l’ensemble des processus associés à la distribution y compris l’éditique règlementaire. | Le nombre de distributeurs au sein du Groupe passerait de 11 à 1 distributeur (hors Domitys, et LMEP). La centralisation de la distribution en un point unique simplifie et réduit le coût de l’éditique réglementaire et des processus associés. Elle opère aussi une complète sécurisation sur le plan opérationnel. |
Démarchage téléphonique | La réglementation démarchage téléphonique est applicable aux prospects. Dans ce scénario, le client de chaque GIE sera donc considéré comme un prospect pour l’autre GIE. Il en résulte un impact négatif et significatif sur le taux de transformation des contrats. | Les clients existants du GIE commun ne sont pas considérés comme des prospects, le distributeur bénéficiera d’un cadre de commercialisation plus favorable. Il centralisera pour l’avenir la relation client. |
Conséquences sociales des deux scénarios.
Le scénario ORIAS.
Dans le premier scénario, oriasé les 2 GIE, les collaborateurs restent salariés de leur GIE d’affectation (AG2R ou La Mondiale Groupe) sans changement de la situation actuelle (convention collective, socle social conventionnel en dehors des accords d’entreprise). Il n’y aurait pas de renégociation du socle social conventionnel.
L’UES AG2R constituée entre le GIE AG2R et l’AG2R AGIRC ARRCO pourrait perdurer.
Le scénario GIE commun
Dans le second scénario, la création d’un GIE commun, le transfert collectif au sein du GIE commun des collaborateurs du GIE AG2R d’une part, du GIE LA MONDIALE GROUPE d’autre part serait mis en œuvre en application des dispositions de l’article L.1224-1 du code du Travail.
Conséquences sociales avec un GIE commun
1/Fin de l’UES AG2R.
L’UES AG2R cesserait d’exister puisqu’une UES ne peut pas se créer avec des salariés sous couvert de CCN différentes.
2/Nouvelles élections professionnelles
De nouvelles élections devraient être organisées pour déterminer la représentativité dans la nouvelle structure avant l’ouverture des négociations du statut.
De même, de nouvelles élections devraient être déclenchées chez AG2R AGIRC ARRCO.
3/Scission dans la représentation du personnel.
La représentation du personnel de l’UES AG2R serait scindée entre le nouveau GIE commun pour les salariés du secteur concurrentiel et l’employeur retraite AG2R AGIRC ARRCO. Cela aurait pour impacts la création de 2 CSE distincts et des négociations sur les accords d’entreprise séparées avec des délégués syndicaux différents.
4/ Renégociation des statuts
A la date du transfert collectif et en application du code du Travail, le statut collectif actuellement en vigueur serait mis en cause de façon automatique en application des dispositions du code du Travail pour les salariés du GIE AG2R et pour les salariés du GIE LA MONDIALE.
Un nouveau statut devrait être renégocié dans un délai de 15 mois à partir du transfert avec les organisations syndicales représentatives issues des nouvelles élections.
Le personnel retraite devrait négocier (séparément) un statut spécifique car les accords d’entreprise conclus au titre de l’UES tomberaient et devraient être renégociés au titre de l’employeur AG2R AGIRC ARRCO.
5/Changement de convention collective.
La convention collective qui serait appliquée au GIE commun serait la CCN de l’Assurance dont le champ d’application serait suffisamment large pour couvrir toutes les activités assurantielles du Groupe AG2R LA MONDIALE. Le champ d’application de la CCN des Institutions de Retraite et de Prévoyance serait trop restreint pour accueillir du personnel d’activité d’assurances.
Le personnel retraite resterait sous couvert de la même CCN des RC IP, mais les accords d’entreprise conclus au titre de l’UES tomberaient et devraient être renégociés au titre de l’employeur AG2R AGIRC ARRCO.
Processus possible.
Les décisions reviennent à la gouvernance du groupe, c’est à dire au Conseil d’Administration de l’association sommitale.
Au terme des réflexions menées par la Gouvernance, un processus d’information et consultation pourrait être engagé auprès des CSE de l’UES AG2R et de l’UES LA MONDIALE sur un projet de transfert collectif des moyens et des collaborateurs du GIE AG2R et du GIE LA MONDIALE GROUPE au sein d’un GIE commun ou sur un simple projet d’immatriculation à l’ORIAS des 2 GIE.
Une fois le recueil d’avis des CSE effectué puis la décision des conseils d’administration concernés, dans le cas où la création d’un GIE commun serait acté, le transfert collectif au sein du GIE commun des collaborateurs du GIE AG2R d’une part, du GIE LA MONDIALE GROUPE d’autre part serait mis en œuvre en application des dispositions de l’article L.1224-1 du code du Travail. A la date du transfert collectif et en application du code du Travail, le statut collectif actuellement en vigueur serait mis en cause de façon automatique en application des dispositions du code du Travail.
La renégociation du statut collectif d’entreprise se ferait dans un délai de 15 mois maximum à compter du transfert des salariés. Pendant cette période de négociation le statut collectif en vigueur reste d’application.
Analyse de la CFDT
Les arguments juridiques présentés par la direction tendent à laisser penser que la situation actuelle empêche ou limite fortement les ventes croisées.
La CFDT doit encore faire vérifier ces arguments par des spécialistes juridiques, mais si les arguments sont justes, il faudra se rendre à l’évidence : un groupe qui ne peut plus effectuer de ventes croisées perd une raison importante d’exister.
Or, la CFDT juge qu’AG2R peut difficilement vivre sans LA MONDIALE et que l’inverse est vrai également. D’autre part, la solidité du groupe garantit sa pérennité, donc les emplois de ses salariés.
Pour contourner ces difficultés liées aux ventes croisées, nous avons vu que deux scénarios étaient possibles : immatriculer les 2 GIE à l’ORIAS ou créer un GIE commun.
Le premier scénario, celui de l’ORIAS, a l’avantage de résoudre le problème des ventes croisées, mais ne traite pas les difficultés liées à la complexité de mise en conformité de plusieurs distributeurs au RGPD et à la DDA.
Il a surtout l’avantage de ne pas avoir d’impact social.
Le second scénario, celui d’un GIE commun, a l’avantage de résoudre à la fois le problème des ventes croisées, mais aussi de simplifier la mise en conformité réglementaire du groupe.
En revanche, il a un gros désavantage : il a un impact social très important.
Le problème se pose donc en ces termes : devons-nous chercher la simplification de notre organisation avec un GIE commun au prix d’un impact social énorme ou pouvons-nous continuer à fonctionner comme aujourd’hui en s’immatriculant juste à l’ORIAS ?
Pour la CFDT, le jeu du GIE commun n’en vaut pas la chandelle.
D’autant que l’objectif prioritaire qui doit être poursuivi est celui du redressement d’AG2R P et qu’un conflit social long et coûteux ne participerait pas à la poursuite de cet objectif.
Si la direction s’entête à vouloir créer un GIE commun, il faudra qu’elle présente d’autres arguments, plus convaincants. A défaut, la CFDT pourrait penser que la direction poursuit d’autres objectifs, non affichés. Certains comme la simplification de notre organisation sont contestables mais peuvent s’entendre, d’autres comme de nouvelles économies sur les frais de personnel ne sont pas entendables.
Très claire comme synthèse mais il y a un point un peu nébuleux.
Que se passera t il pour les collaborateurs du nouveau GIE pendant la phase de renégociation des accords.
Ils bénéficierait des anciens accords “AG2R” mais la base c’est à dire les dispositifs liés à la CCN IRP seront-ils perdus (exemple jour d’ancienneté, retraite) au profit des avantages/inconvénients de la CCN Assurance ? Certains de ces dispositifs ne sont peut être pas repris dans les différents accords.
Cette période de transition sera de toute façon très anxiogène.
Le changement de convention collective se traduit par la mise en cause de la convention antérieure, avec un « délai de survie » (article L2261-14 du code du travail).
Durant ce délai, la convention collective antérieure continue à s’appliquer jusqu’à l’entrée en vigueur de la nouvelle convention collective qui lui est substitué ou, à défaut, pendant une durée d’un an à
compter de l’expiration du délai de préavis (donc 12+3 mois).
Cette période de maintien de l’ancienne convention collective comprend un préavis impératif d’une durée de 3 mois (sauf clause conventionnelle contraire).
Merci beaucoup pour ce décryptage juridique matriciel.
L’article pourrait être ajouté au “qui fait quoi” dans le RDG.
Merci pour ces explications. Quid les collaborateurs en CFC, jusqu’a mi 2025?
Article clair et précis. On a bien l’ensemble des éléments du problème ainsi que les quelques zones grises. Merci pour cet éclairage particulier. A suivre donc dans quelques jours…