Mercredi 11 décembre à midi, le Premier ministre a présenté le projet gouvernemental de création d’un système universel de retraites. Voici le décryptage de ce discours, à la lumière des revendications CFDT.
La CFDT est depuis longtemps favorable à une réforme en profondeur de notre système de retraites, afin de le rendre plus lisible et plus juste. Elle a participé activement aux concertations. Ses revendications sont notamment formalisées dans le Manifeste pour les retraites (octobre 2018), qui s’est appuyé sur l’enquête Parlons retraites (120 000 répondants).
Nos revendications sont claires, nos lignes rouges aussi.
Certains éléments du rapport Delevoye ont été retenus par le Premier ministre. Mais le discours de ce dernier au CESE n’a pas permis de donner un véritable contenu social au projet, et il a même confirmé l’intention du gouvernement de mener rapidement une réforme paramétrique avec une mesure d’âge.
UNE REFORME QUI REPREND L’ESSENTIEL DU RAPPORT DELEVOYE
Dans son discours, le Premier ministre a repris les propositions du rapport Delevoye, qui comportent un certain nombre d’éléments portés par la CFDT.
Ainsi, le système universel devrait être :
– Fondé sur la répartition.
– Calculé en points.
– Appliqué à toutes et tous, quel que soit le statut professionnel.
– Avec une assiette de cotisation allant jusqu’à 3 fois le plafond annuel de la sécurité sociale ( PASS) soit 120 000 euros annuels.
– Créateur de droits dès le premier euro cotisé.
Le Premier ministre a par ailleurs confirmé clairement que la valeur du point ne pourrait pas baisser, que sa fixation serait confiée aux partenaires sociaux sous le contrôle du Parlement (contrôle annuel ? pluriannuel ?). La valeur d’achat serait progressivement fixée en fonction des salaires, et non plus de l’inflation. Rien n’a été dit sur la valeur de service, ni sur la revalorisation des pensions, mais le rapport Delevoye préconisait pour la première une indexation sur les salaires et pour les secondes une indexation sur les prix.
La CFDT est favorable à l’instauration d’un système fondé sur ces principes, qui permettent de construire un système de retraite commun, partagé par tous et conforté par une base démographique large, ce qui permet une solidarité interprofessionnelle plus solide.
Sur les droits familiaux et conjugaux, le Premier ministre a également repris la proposition de majoration de pension de 5% par enfant, pour la mère, sauf choix différent du couple, dès le premier enfant. Il a rappelé que la pension de réversion serait calculée pour maintenir le niveau de vie de la personne survivante, soit 70% de la somme des 2 pensions. Il a complété ces propositions par l’attribution de 2% supplémentaires pour les parents de 3 enfants et plus et par le maintien de l’Assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF) pour le 3ème enfant et jusqu’aux 6 ans de l’enfant.
La CFDT est favorable à l’attribution d’une majoration de pension dès le premier enfant, mais elle regrette que cette majoration ne soit pas forfaitaire. Les conditions du maintien de l’AVPF restent encore floues.
Sur les droits non contributifs ou de solidarité, le Premier ministre a reprécisé que les périodes de chômage, de maladie et les situations de handicap donneraient des points de retraite. Il n’a pas explicité si ce serait le cas du chômage non indemnisé.
UNE REFORME SYSTEMIQUE QUI N’EST PAS A LA HAUTEUR DES ENJEUX
La CFDT a demandé des engagements au gouvernement pour que la réforme soit véritablement une réforme de justice et de progrès, c’est-à-dire qui participe à la correction des inégalités issues du monde de travail et qui crée des droits nouveaux.
Le Premier ministre n’a pas répondu à certaines de nos exigences :
– Pénibilité : le Premier ministre a annoncé l’extension du C2P aux fonctions publiques, avec une baisse du seuil du critère lié au travail de nuit, mais les 4 critères exclus du compte depuis 2017 (manutention manuelle des charges, vibrations mécaniques, postures pénibles et risque chimique) ne sont pas réintroduits. Il n’y a pas de véritable reconnaissance de la pénibilité du travail, alors que ces 10 formes de pénibilité ont un impact sur l’espérance de vie des travailleurs. Seule ouverture sectorielle : un dispositif pour permettre aux aides-soignantes de passer à temps partiel en fin de carrière sans perte de rémunération. Les salariés du BTP, de l’agro-alimentaire, et plus généralement tous les salariés qui la subissent, n’entrent toujours pas dans le champ d’application de la prévention de la pénibilité.
– Transition emploi / retraite : il est simplement indiqué que le dispositif de retraite progressive serait assoupli (quid de son extension aux fonctions publiques ?) et que le cumul emploi / retraite permettrait d’acquérir des points. Aucune mesure concrète n’est proposée pour que les employeurs assument enfin leurs responsabilités sur l’emploi des seniors.
– Retraite minimum : elle serait fixée à 1 000 euros nets, soit 85% du SMIC, engagement déjà posé en 2003. La CFDT demande depuis plusieurs années que le montant de retraite pour une personne salariée au SMIC toute sa vie soit bien supérieure à 85% du SMIC.
– Compensations salariales pour les fonctionnaires sans primes : elles sont prévues pour les enseignants, mais aucun chiffre n’est avancé. Rien n’est dit pour les autres catégories de fonctionnaires.
Sur le calendrier :
La réforme systémique devrait s’appliquer à partir de la génération 1975 (qui liquidera sa retraite en 2037), génération à partir de laquelle les salariés auront une partie calculée dans l’ancien système et une partie dans le nouveau. Ce serait la génération 1985 (à vérifier) pour les personnes concernées par les départs anticipés. La génération 2004 (qui aura 18 ans en 2022) serait la première génération complètement impactée sur toute la carrière par la réforme. Les salariés qui sont à moins de 17 ans de la retraite ne seraient pas concernés par la réforme systémique. Par contre, ils seraient touchés par la réforme paramétrique.
UNE REFORME PARAMETRIQUE BRUTALE
Le Premier ministre maintient dans son discours qu’un âge d’équilibre (64 ans) doit être fixé, en s’appuyant sur le rapport du Conseil d’orientation des retraites.
Pour rappel : le COR n’a pas proposé de porter l’âge de départ en retraite à 64 ans, il a simplement fait des simulations financières à la demande du gouvernement. Il a d’ailleurs également projeté l’évolution de 2 autres paramètres du système (le niveau des pensions et le taux de cotisation).
Le Premier ministre a indiqué que la mise en œuvre de l’âge d’équilibre serait faite progressivement par la nouvelle gouvernance du système c’est-à-dire par les partenaires sociaux, dès 2022 et jusqu’en 2027.
Concrètement, le Premier ministre demande aux partenaires sociaux de piloter le système, sans leur laisser de marges de manœuvre sur le paramètre à utiliser et l’objectif à atteindre, c’est-à-dire la mise en place d’un âge d’équilibre à 64 ans en 2027.
De même, cela signifie que la génération 1960 (qui partira en 2022) devrait travailler 4 mois de plus pour bénéficier du taux plein. Et que la génération 1965 (qui partira en 2027) devrait travailler 2 ans de plus pour bénéficier du taux plein (voir tableau à la fin de l’article).
Rien n’est dit sur l’application ou non de cet âge d’équilibre pour les carrières longues.
La CFDT a toujours indiqué que toute mesure d’âge était une ligne rouge : les efforts ont été déjà faits avec les réformes passées. Le besoin de financement du système est un déficit de recettes, il n’est pas lié à une explosion des dépenses. Cette mesure est injuste et injustifiée.
LES PERSPECTIVES
Sur le processus d’élaboration de la loi : le projet devrait être soumis aux Caisses de retraite pour avis, puis examiné en Conseil d’Etat courant janvier. Il devrait être examiné en Conseil des ministres le 22 janvier 2020 et déposé devant le Parlement fin février.
Pour la CFDT, l’obsession budgétaire et la justice sociale ne font pas bon ménage. Le gouvernement a perdu le sens et la lisibilité du projet de réforme, au nom d’une logique comptable injuste et injustifiée.
C’est pourquoi la CFDT a appelé l’ensemble des travailleurs à se mobiliser mardi 17 décembre, pour que le gouvernement renonce à toute mesure d’âge et pour que le projet de réforme systémique comporte des mesures concrètes afin de reconnaitre véritablement la pénibilité du travail, d’améliorer le minimum de pension et de favoriser réellement la retraite progressive.
Tableau reprenant les impacts de la mesure d’âge d’équilibre pour les salariés qui ont atteint le taux plein à 62 ans (2 pages)
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