Le 10 août, la DRH du groupe AG2R LA MONDIALE publiait un long article sur Linked in pour évoquer le télétravail, notamment à la lumière de son expérience dans l’entreprise. Alors que l’accord télétravail doit être re négocié avant la fin de l’année, les réflexions estivales de notre DRH éclairent sur certains éléments d’analyse de la direction.
Texte de l’article de la DRH d’AG2R LA MONDIALE, membre du Comité de Direction Groupe en charge des Ressources Humaines et des Relations Sociales
Au cours des derniers mois et sous l’impulsion d’un travail à distance imposé par la période de confinement liée au Covid-19, nombre d’entreprises ont manifesté dans la presse et/ou sur les médias sociaux un engouement sans précédent pour le télétravail. Alors qu’elles ne le pratiquaient pas avant voire même qu’elles étaient peut-être sceptiques sur le fait que les salariés puissent « vraiment » travailler en étant chez eux, elles envisagent désormais la pérennisation de ce mode de travail y compris, pour certaines d’entre elles, dans une approche massive avec un travail sur site seulement 1 jour par semaine.
Pour celles et ceux d’entre nous qui promouvons le développement du télétravail depuis longtemps, nous pouvons bien sûr nous réjouir de cette évolution très rapide dans la considération ainsi portée à ce mode de travail qui est vecteur de bien des avancées.
Le télétravail est en effet un véritable levier d’accélération de la transformation de nos entreprises : il implique des changements profonds dans les modes de fonctionnement et donc des changements de posture chez les managers comme chez les collaborateurs. Il conduit notamment à développer la responsabilisation de tous à travers l’autonomie et la confiance accordée sans à priori par le management.
Et, il n’est plus nécessaire de souligner la contribution du télétravail à un meilleur équilibre vie professionnelle / vie personnelle en réduisant les temps de transport et la fatigue induite… Outre, l’opportunité pour une femme comme pour un homme de consacrer ce temps de transport « gagné » à ses enfants, sa famille, une activité sportive, culturelle…
Nous l’avons tous bien compris, avec le télétravail… tout le monde y gagne !
Pour autant, si l’on souhaite que sa mise en œuvre soit réussie dans la durée, il est essentiel d’appréhender le télétravail comme un véritable changement de culture pour lequel les managers comme les collaborateurs doivent être accompagnés. La question de l’équilibre entre le nombre de jours en présentiel (sur site) et en distanciel (en télétravail) doit aussi être posée pour éviter l’un des risques majeurs du télétravail : la dilution du « collectif » que constitue par nature l’entreprise.
Chez AG2R LA MONDIALE, nous n’avons pas attendu la crise sanitaire du Covid-19 pour proposer à l’ensemble de nos collaborateurs de pratiquer le télétravail. Négocié avec les organisations syndicales représentatives et consacré par un accord signé à l’unanimité, cette pratique est en effet effective depuis 2018.
Arrêt sur image… en 2018 :
C’est en février 2018 que nous décidons de négocier le déploiement du télétravail de façon généralisée : ouvert à celles et ceux qui le souhaitent sur la base du volontariat jusqu’à 2 jours par semaine, sous certaines conditions. La signature unanime de l’accord est une grande satisfaction pour tous les acteurs de l’entreprise : les collaborateurs, les managers, les organisations syndicales représentatives et la Direction générale.
Et pourtant, tout reste à faire… notamment réussir son déploiement à grande échelle : les métiers éligibles au télétravail représentent plus de 8.000 collaborateurs et managers. Aucune restriction n’a été envisagée concernant ces derniers qui peuvent en effet en bénéficier comme tout le monde et dans les mêmes conditions.
Ce point a été une évidence : comment les managers pourraient-ils favoriser le télétravail s’ils n’en bénéficient pas et s’ils ne l’expérimentent pas eux-mêmes ? Et qu’advient-il lorsqu’un collaborateur est promu manager et qu’il pratiquait le télétravail : lui faudrait-il faire le choix entre devenir manager et renoncer au télétravail ou conserver cette possibilité et renoncer à une évolution ?
De la même façon, nous n’avons pas envisagé de limiter le nombre de télétravailleurs en fixant une proportion maximale par service.
Nous avons souhaité ouvrir le télétravail au plus grand nombre en articulant notre dispositif autour de 3 dimensions clés : technique d’abord pour définir le cadre juridique et l’environnement informatique à fournir à nos télétravailleurs, culturelle ensuite via la formalisation d’un accompagnement spécifique de tous nos collaborateurs et managers à travers des modules e-learning et des ateliers en présentiel, santé au travail enfin pour prévenir les risques psycho-sociaux.
Outre le sujet sensible de la déconnexion auquel il convient d’être attentif, qu’on le veuille ou non, le télétravail conduit en effet « à mettre à distance ». Les fameux signaux faibles qu’il est parfois difficile d’identifier même lorsqu’on se croise tous les jours au travail… peuvent ainsi devenir plus faibles encore à voir ou entendre quand les uns et les autres sont à distance.
Où en étions-nous 2 ans après… début 2020 ?
Avec l’accord de leur management, c’est près de 4.000 collaborateurs, managers ou non, qui avaient déjà opté pour ce mode de travail y compris certains membres du Comité de direction Groupe et du Comité exécutif. A raison d’un jour de télétravail par semaine pour 75% d’entre eux, 3.000 personnes.
Moins de 1.000 collaborateurs bénéficiaient du télétravail deux jours par semaine. Il est vrai que nous avions fixé une condition d’ancienneté : avoir pratiqué le télétravail 1 jour par semaine pendant une année complète avant de pouvoir demander à passer à 2 jours.
Débutée en octobre 2018, la réussite du déploiement du télétravail au sein d’AG2R LA MONDIALE est le fruit d’un travail collectif et coopératif de toutes les directions : métiers, systèmes d’information, communication avec la direction des ressources humaines à l’impulsion du projet.
Parmi les ingrédients indispensables en amont de l’ouverture du télétravail pour chaque direction :
• Le test préalable des applicatifs informatiques pour nous assurer de leur fonctionnement stable et sécurisé à distance.
• L’accompagnement de tous nos managers et collaborateurs pour leur permettre d’appréhender le changement culturel introduit par ce nouveau mode de travail et les adaptations individuelles et collectives à anticiper.
Préalablement à une demande de télétravail, une formation très complète doit impérativement être suivie par chaque collaborateur avec octroi d’un certificat attestant du suivi de tous les modules. L’objectif est de permettre à chacun d’appréhender ce que veut dire télétravailler : comment reporter auprès de son manager ou comment rester en contact avec ses collègues à distance, comment installer son espace de travail à domicile ou encore comment structurer sa journée de télétravail…
Pour les managers, des ateliers spécifiques leur ont permis de s’interroger collectivement sur des sujets clés : manager une équipe dont une partie est à distance et l’autre sur site, manager en étant soi-même télétravailleur régulier, adapter les modalités d’organisation des réunions…
Post confinement & déconfinement, 1ers enseignements et éléments de réflexions :
L’efficience de ce mode de travail n’est plus à démontrer même s’il convient de faire preuve de discernement dans les conclusions à tirer de cette période : le « travail à distance généralisé » déployé en situation de gestion de crise n’est pas comparable à la pratique du télétravail dans la durée. S’engager dans cette voie implique une approche pensée et organisée.
Il ne fait cependant aucun doute qu’avoir déployé le télétravail bien avant la crise sanitaire, a été un atout considérable pour la préservation de la santé de nos collaborateurs d’abord, puis la mise en œuvre de notre plan de continuité d’activité.
Ce contexte inédit a par ailleurs renforcé l’un de nos questionnements concernant les dispositions conventionnelles définies pour encadrer l’accès au télétravail et en règlementer l’usage (condition d’ancienneté dans l’entreprise, journée fixe ou flottante…). Il est très probable que ce cadre puisse être allégé de façon significative pour permettre plus de flexibilité et d’agilité organisationnelle.
Quant aux métiers initialement identifiés comme inéligibles au télétravail, la situation vécue ces derniers mois nous a démontré, pour certains d’entre eux, que nous pouvions appréhender le sujet d’une autre façon.
La mise en œuvre d’un accompagnement continu des managers et des collaborateurs pour s’approprier toutes les clés d’une pratique réussie du télétravail dans la durée et sans s’essouffler est quant à elle fondamentale. Renforcer la sensibilisation sur le droit à la déconnexion, souligner l’importance des frontières à instaurer chez soi entre temps professionnel et temps personnel, outiller managers et collaborateurs pour maintenir le lien à distance…
C’est en fait un véritable apprentissage « au long cours » de nouveaux réflexes, rituels et/ou comportements qu’il convient de mettre en œuvre pour animer cette nouvelle modalité de travail dans le temps. Certainement l’une des clés pour ancrer ce changement culturel et en faire un levier durable de performance sociale autant qu’économique.
Enfin, cette phase de réflexions conduit inévitablement à la question du nombre de jours de télétravail par semaine. Où placer le curseur pour ne pas prendre le risque de « dilution du collectif » ?
L’entreprise est par nature un collectif de travail qui a aussi besoin de se retrouver physiquement et régulièrement pour créer les conditions nécessaires à son « bien vivre et bien travailler ensemble ». Elle n’est pas une somme d’individus qui travaillent à côté les uns des autres sans se croiser ou à peine.
A partir de 3 jours ou plus de télétravail par semaine, ce n’est plus seulement la question de la mise en œuvre du télétravail qui se pose. C’est une réflexion bien plus complexe sur l’organisation du travail au sein de l’écosystème que constitue l’entreprise qui devrait être engagée et qui conduit à réinterroger les modalités d’interactions entre les différents acteurs autant que celles qui seront de nature à maintenir le sentiment d’appartenance à une même structure, un même collectif.
Le risque pourrait en effet être grand de constituer involontairement une communauté de télétravailleurs liés à l’entreprise par un contrat de travail et la sécurité du salariat qui y est attachée… et qui, au fil du temps passé en télétravail, pourraient se comporter comme des travailleurs indépendants.
Où comment éviter la confusion entre « autonomie », capacité individuelle indispensable pour pratiquer le télétravail, et « autogestion » ? D’autant que tout un chacun a besoin de vivre ce collectif qu’est l’entreprise pour s’énergiser, s’inspirer, se développer…
Finalement, comme toujours, tout est question d’équilibre !
Celui qu’il convient de trouver dans la mise en œuvre du télétravail invite à ne pas confondre vitesse et précipitation. Et pour reprendre le proverbe italien « qui va piano va sano » !
Assurément un sujet de rentrée…
En vous souhaitant une très belle pause estivale !
Remarquablement bien écrit, et résume parfaitement les 2 années passées entre votre signature de l’accord et aujourd’hui.
Un nouveau cadre est en effet à mettre en place,
Une question me taraude l’esprit,
Ou est passée notre DRH – Mdme Silva est elle restée en télétravail sine die ? Son silence est assourdissant et ses rares prises de parole, ou plutôt mails envoyés à la va vite plutôt singlants.
Roulement de tambour concernant le choix qui sera fait à partir du 1er Septembre, Télétravail accentué ? Masque toute la journée avec retour 4j/semaine au bureau après 6 mois dans un cadre contraint mais plus souple néanmoins ?
Dans mon monde rêvé, on arrive à combiner l’efficacité du distanciel avec la richesse du présentiel.
Ce n’est pas qu’une question de nombre de jours, mais aussi de sens et de richesse à donner au présentiel. La crise que nous avons vécu nous interpelle aussi sur le “pour quoi” (en deux mots) se rendre sur site
Quid de l’analyse de la vaste enquête sur le télétravail ?