Tribune de Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, Philippe Louis,Président de la CFTC et de Luc Bérille, secrétaire général de l’Unsa parue dans le journal Libération.
Les économistes affirment que la croissance revient. Nous nous en félicitons car nous ne pouvons nous passer d’une économie performante. Mais nous considérons aussi et surtout que la recherche de performance économique n’a de sens que si elle vise le « mieux être » pour tous !
C’est pourquoi, les femmes et les hommes ne sauraient être réductibles à des chiffres. Dans les territoires, la réalité de millions de nos concitoyens diffère de celle décrite par ces chiffres. Beaucoup continuent à être confrontés au chômage, à la précarité, à la pauvreté, aux difficultés d’accès au transport, au logement, aux soins et à certains services publics. Ils ne se sentent pas associés aux réformes de l’action publique dont ils ont l’impression qu’elles sont construites sans eux, et parfois, à tort ou à raison, contre eux.
Nous pensons qu’il faut réformer le pays, que nous ne pouvons nous satisfaire du statu quo, que notre système social – juste dans ses fondements – n’est plus adapté au monde d’aujourd’hui, ni au monde qui vient. Il n’est pas assez inclusif et laisse trop de nos concitoyens sans l’aide dont ils ont besoin. Il engendre parfois des inégalités qui menacent notre cohésion sociale.
La CFDT, la CFTC et l’UNSA représentent, à elles trois, près d’un million d’adhérents, et recueillent aux élections professionnelles la confiance d’une grande partie des salariés du privé, des fonctionnaires et des agents publics. Nos organisations portent un projet de société apaisée, porteur de démocratie et de progrès social. Responsables et compétentes, elles sont capables de regarder les réalités en face, capables de compromis sociaux pour construire la société dont nous avons besoin. À de multiples reprises, tout au long de leurs histoires respectives et souvent ensembles elles en ont apporté la preuve quand l’intérêt supérieur du pays l’exigeait.
Nous demandons aux dirigeants de ce pays qu’ils proposent un véritable projet pour toute la société, qui permette à chacun d’exercer réellement sa liberté, pour qu’elle ne soit pas le luxe de quelques-uns, et qui donne à chacun – quelles que soient son histoire, ses chances de départ – le droit de faire des choix, de trouver sa place ; un projet prenant en compte les réalités et aspirations du plus grand nombre à commencer par les plus fragiles d’entre nous.
Un projet de société qui reconnaisse les difficultés de toutes celles et de tous ceux qui se sentent ignorés par la parole publique. Les travailleurs, jeunes, retraités, personnes à la recherche d’un emploi, que la vie n’a pas toujours épargné et qui se sentent invisibles. Les dirigeants de ce pays doivent urgemment répondre aux territoires exclus des fruits de la croissance retrouvée, villes petites et moyennes, quartiers populaires, campagnes périurbaines, zones rurales reculées, qui regroupent pourtant la majorité de notre population.
Nous refusons des politiques qui n’abordent la question sociale que sous l’angle de son coût.
Cela se traduit par la réduction des contrats aidés, des aides personnelles au logement et des soutiens au logement social. Au final, c’est la promesse d’égalité portée par le service public qui est rompue. Nous refusons une société d’individus, où la seule loi du marché régulerait les rapports sociaux et où l’Etat se contenterait de garantir aux plus précaires des droits réduits à leur strict minimum.
Voilà pourquoi aujourd’hui nous attendons de véritables politiques sociales, assumées, des politiques qui apportent des réponses à ceux qui en ont besoin, construites avec eux et avec leurs représentants. Pourquoi sur la question sociale serait-il impossible ou si difficile de construire des politiques ambitieuses, élaborées avec celles et ceux à qui elles sont destinées ? Les mesures les plus progressistes du projet de loi sur la « liberté de choisir son avenir professionnel » résultent d’accords dans lesquels les partenaires sociaux ont su construire ou renforcer des droits pour les travailleurs sans, dans le même temps, hypothéquer la performance économique de nos entreprises. C’est donc possible !
Inquiètes par des politiques où l’économique prime trop souvent sur la justice sociale, en désaccord avec une conception de la démocratie sociale reléguant les partenaires sociaux au rôle d’observateurs, nos organisations demandent au Président de la République et au Gouvernement de reconsidérer la méthode par laquelle ils entendent réformer le pays.
Organisations réformistes, de construction sociale, nous ne contestons pas la nécessité d’adapter notre modèle social et nos structures aux exigences et opportunités de notre monde en bouleversement. Parce que la réforme n’est pas une fin en soit, parce que nous voulons peser sur la finalité qu’elle poursuit, sur la société qu’elle construit, nous demandons que l’ensemble des travailleurs et des organisations qui les représentent soit plus et mieux impliqués dans la définition des grands choix qui sont devant nous et qui conditionnent notre avenir commun. Le temps donné au dialogue social n’a jamais été et ne sera jamais un temps perdu. Il est un investissement nécessaire à l’appropriation de la réforme. Sans lui, la greffe ne prend pas et les supposés bienfaits de la réforme ne sont pas au rendez-vous.
Parce qu’on on ne transforme pas la société contre ses acteurs, sans la comprendre et sans en écouter toutes ses composantes, toute autre approche est une impasse !