Plus de cinquante ans après la loi de 1972 sur l’égalité salariale, les femmes gagnent toujours 3,8 % de moins que les hommes dans le secteur privé à poste équivalent. Pour remédier à cette situation, une nouvelle directive européenne sur la transparence des salaires, adoptée en mai 2023, est en cours de transposition dans le droit français. Plus globalement, cette directive tend à définir une notion de « travail égal ».
Les années passent et les disparités salariales aux dépens des femmes demeurent. Une directive européenne, en cours de transposition dans le droit français, promet une meilleure transparence des rémunérations dans les entreprises. Une étape vers enfin plus d’équité ?
Le débat ne date pas d’hier. Depuis une loi de décembre 1972, « tout employeur est tenu d’assurer, pour un même travail ou pour un travail de valeur égale, l’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes ». Et pourtant, plus de cinquante ans plus tard, à temps de travail identique et à emploi comparable, les femmes restent payées 3,8 % de moins que les hommes dans le privé.
Alors afin de lutter contre cet écart persistant, la France a mis en place en 2018 un « index de l’égalité professionnelle », pour aller vers plus de transparence.
Quèsaco ? Les administrations publiques et les entreprises de plus de 50 salariés doivent calculer chaque année cinq « indicateurs », dont l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes ; la répartition genrée des dix plus hautes rémunérations de l’organisation ou encore le nombre de salariées augmentées à leur retour de congé maternité, ce qui donne une note sur 100. Le but est d’obtenir une photographie de ce qui se passe dans la structure de travail concernée et d’engager des actions correctrices.
Si cela a permis à certains de se rendre compte qu’ils ne respectaient pas la loi (concernant l’augmentation lors du retour de congé maternité, par exemple) et ainsi déclencher une prise de conscience, l’index n’a pas produit des effets probants en matière de réduction des inégalités. De plus, les méthodes de calcul retenues tendent à invisibiliser les inégalités. Finalement, les chiffres nationaux de l’index des entreprises ne représentent la situation que d’un quart des salariés du privé. La photographie ressemble donc plus à un puzzle auquel il manquerait des pièces…
Une nouvelle réglementation
Alors, que faire ? L’Union européenne propose d’aller plus loin : une directive sur la transparence des salaires a été adoptée en mai 2023. Car, pour l’UE, «un manque général de transparence en ce qui concerne les niveaux de rémunération au sein des organisations maintient une situation dans laquelle les discriminations en matière de rémunération fondées sur le sexe et les partis pris sexistes peuvent passer inaperçus ou, lorsqu’ils sont soupçonnés, être difficiles à prouver ».
“La directive européenne oblige les organisations à publier des statistiques agrégées. Ce seront des médianes, le salaire moyen sur tel niveau. Cette forme de transparence peut être aussi efficace qu’une transparence stricte. ”
Tomasz Obloj, professeur à l’université de l’Indiana, aux États-Unis.
Dans ce texte, « il y a plusieurs axes », résume Isabelle Nicolas, directrice opérationnelle chez Sextant Expertise, un cabinet qui accompagne les instances représentatives du personnel. « La directive prévoit la transparence lors de l’embauche, avec la publication de la rémunération et l’interdiction [pour l’employeur] de demander le niveau précédent de rémunération. Elle prévoit une transparence dans l’entreprise, avec la possibilité pour les salariés de connaître leur positionnement par rapport à leurs collègues. »
Pas question donc d’une transparence stricte, avec un nom en face d’un bulletin de paie comme l’explique Tomasz Obloj, professeur à l’université de l’Indiana, aux États-Unis (lire son interview) : « La directive européenne oblige les organisations à publier des statistiques agrégées. Ce seront des médianes, le salaire moyen sur tel niveau. Des études ont été menées sur cette forme de transparence : elle peut être aussi efficace qu’une transparence stricte. »
Définir le « travail égal »
Au-delà de cette transparence, la directive « prévoit aussi la publication de toute une batterie d’indicateurs pour objectiver les différences de rémunération entre les hommes et les femmes et qui va plus loin que l’index de l’égalité professionnelle français actuel », en envisageant les écarts de salaire sous plusieurs formes, poursuit Isabelle Nicolas. Et d’ajouter : «Surtout, ce qui peut changer avec la directive, c’est la question de la définition du “travail égal”. »
En effet, la directive insiste sur les critères (compétences, efforts, responsabilités, conditions de travail…) à prendre en compte en vue de comparer les salaires. « Nous ne sommes plus sur des catégories socioprofessionnelles ou des classifications internes. Là, l’idée, c’est d’aller dans le détail afin de comparer au mieux les salariés et leurs rémunérations », souligne Isabelle Nicolas. De quoi ouvrir de nouvelles perspectives de comparaison entre différents secteurs d’activité et se rendre compte que des emplois qui ont des similitudes ne sont pas toujours payés de la même manière.
Les autres maux de l’inégalité
Côté ministère du Travail, la transposition dans le droit français a déjà commencé. Le gouvernement souhaite terminer le processus d’ici à la fin de l’année 2025. Des concertations vont avoir lieu mais, d’ores et déjà, la CFDT a été reçue en janvier : « Ce qui nous a été présenté comme pistes de travail nous convient bien, y compris l’idée de supprimer l’index tel qu’il existe aujourd’hui ou de changer sa composition pour qu’il corresponde à la directive, détaille la secrétaire nationale Béatrice Lestic. Nous attendons désormais d’entrer dans le vif des discussions. »
“La directive ne réglera pas les questions de maternité, de temps partiel subi, de ségrégation professionnelle, de stéréotypes de genre, de conciliation vie privée-vie professionnelle, qui sont aussi à l’origine de ces inégalités…”
Béatrice Lestic, secrétaire nationale CFDT.
Concernant la notion de travail à valeur égale, « c’est plus complet que le droit français », remarque Béatrice Lestic. Quant à la transparence salariale, à l’embauche et dans les entreprises et administrations, « elle ne fait pas de difficulté », selon le gouvernement et la CFDT. Une transparence « qui fera bouger les lignes, estime la secrétaire nationale. Afficher les salaires, ne plus demander le salaire antérieur et avoir accès à l’information, c’est colossal. »
Si ces nouveaux dispositifs doivent permettre d’en finir avec les écarts de rémunération non justifiés, les autres causes des inégalités salariales ne sont pas traitées par ce texte. « La directive ne réglera pas les questions de maternité, de temps partiel subi, de ségrégation professionnelle, de stéréotypes de genre, de conciliation vie privée-vie professionnelle, qui sont aussi à l’origine de ces inégalités, clarifie Béatrice Lestic. Cependant, ce questionnement sur le travail de valeur égale, si nous faisons bien notre travail syndical, peut produire d’importants résultats ! »
Cette directive prévoit plusieurs mesures novatrices : la publication obligatoire des rémunérations lors des recrutements, l’interdiction pour les employeurs de demander l’historique salarial, et l’accès des salariés aux informations sur leur positionnement par rapport à leurs collègues. Elle introduit également une définition plus précise du « travail égal » basée sur des critères objectifs comme les compétences, les efforts et les responsabilités.
Le gouvernement français vise à finaliser la transposition de cette directive d’ici fin 2025, avec le soutien des partenaires sociaux. Bien que cette avancée soit significative, elle ne résout pas l’ensemble des causes des inégalités salariales, telles que le temps partiel subi ou les stéréotypes de genre. Néanmoins que cette nouvelle approche pourrait conduire à des progrès importants en matière d’équité salariale.
La problématique de la rémunération des dirigeants.
Lors de la réunion CSE du mois d’avril, le rapport sur la durabilité a été présenté. Une partie de ce rapport porte sur le bilan social du groupe et sur les risques associés. La CFDT est intervenue pour dénoncer l’opacité dans le système de rémunération et d’avantages sociaux des dirigeants du groupe AG2R LA MONDIALE, opacité entretenue par la création d’un GIE spécifique La Mondiale Executive. Cette manoeuvre de nos dirigeants leur permet d’échapper à toute investigation des représentants du personnel et des experts nommés par le CSE. La CFDT a pointé qu’il s’agissait d’un risque non identifié dans le rapport de durabilité. La DRH a simplement répondu que la rémunération de nos dirigeants correspondait à celle octroyée dans des groupes comparables, étant entendu qu’elle incluait les compagnies d’assurance internationale capitalistiques. Peut-on dans un groupe de protection sociale à but non lucratif se contenter d’une telle réponse ? Peut-on accepter que ceux qui nous prêchent la réduction des frais de fonctionnement liés à la masse salariale s’octroient sans vergogne des salaires plus importants que l’enveloppe destinée aux augmentations salariales collectives annuelles ? Malheureusement, avec le système opaque concocté par nos dirigeants, la directive européenne sur la transparence des rémunération risque de ne pas avoir d’effet.
Quand le haut ne montre pas l’exemple….