Alors que le projet de loi “pour le plein emploi” arrive à l’Assemblée nationale, le Secours catholique et AequitaZ s’alarment de la mise à l’emploi forcée des chômeurs et des précaires. Les deux organisations ont publié un rapport sur le travail invisible, solidaire et désintéressé de personnes éloignées de l’emploi pour lesquelles elles réclament reconnaissance, visibilité et sécurité.
« Activer les inactifs… L’éternel cliché de l’assisté ayant besoin d’être remobilisé est un poison qui fonde toute politique publique sur le postulat qu’il n’y a rien en dehors du travail rémunéré. Puisse ce rapport servir d’antidote », s’indigne Véronique Devise, présidente du Secours catholique – Caritas France. Mobilisés de longue date au sujet des enjeux de notre système de protection sociale, le Secours catholique et AequitaZ ont enrichi leur analyse avec celles de nombreuses autres organisations, dont la CFDT.
Leur dernier rapport, intitulé Un boulot de dingue, est un focus sur toutes les activités vitales, utiles et non rémunérées réalisées hors emploi. Car si notre système d’aide sociale est principalement organisé autour de l’emploi, le nombre d’heures de travail domestiques serait, du moins en France, équivalent au nombre d’heures travaillées rémunérées – le rapport mentionne de 42 à 77 milliards d’heures. « Il est grand temps, à rebours du discours ambiant, de prendre en compte le fait que les personnes éloignées de l’emploi se démènent pour faire face à leurs difficultés », insiste Véronique Devise.
Rendre visible le travail invisible
1. La France compte 13 millions de bénévoles, soit 680 000 équivalents temps plein, ainsi que de 8 à 11 millions d’aidants qui soutiennent 15 millions d’enfants et 5 millions d’adultes malades ou en situation de handicap.
« Nous avons suivi des allocataires du RSA pendant plusieurs mois. Ils nous ont dit : “C’est beaucoup plus dur de ne rien faire que de s’engager dans une association”, développe Marion Ducasse, corédactrice du rapport. Ces récits du monde du hors-emploi racontent aussi que leur volonté de sortir de l’aide sociale n’est pas un désir de travailler n’importe où ni de sacrifier des heures utiles aux autres. Nous avons décortiqué leur emploi du temps et analysé la charge mentale que représente la grande pauvreté. Nous avons évalué l’effet de leurs activités, quand bien même elles n’ont pas de traduction économique. Et nous avons constaté que, parfois, ramener ces personnes vers l’emploi, c’est compliquer encore un peu plus leurs vies. Sachant qu’il faut pouvoir mettre de l’essence dans la voiture et trouver un mode de garde pour les enfants, retrouver une activité salariée peut aussi s’avérer plus coûteux, au final. » Or le Secours catholique le répète : le minimum vital ne se négocie pas ! L’engagement des précaires dans l’entraide et la solidarité est une réalité indéniable : aidants, bénévoles, personnes au foyer sont un maillon essentiel du vivre-ensemble. Mais tout se passe comme si, en dehors de la sphère économique, plus rien n’avait de valeur.
À partir du vécu des personnes hors emploi, le rapport a classé ce qui est essentiel, utile et non rémunéré selon trois types d’activités effectuées dans des cadres privés, associatifs ou informels : prendre soin, produire (jardinage, couture, cuisine…), s’engager (mouvement politique, militant…). Ce repérage a permis d’explorer les complémentarités entre ces activités et celles réalisées dans le travail-emploi, et les complémentarités qui existent entre solidarité de proximité et système national de protection sociale.
“Le non-recours va augmenter”
« Sans nier l’importance du travail rémunéré, il faut respecter la liberté des personnes de s’engager, insiste Daniel Verger, responsable du département « Accès digne aux revenus » du Secours catholique. D’autant plus que le projet de loi Plein emploi, dans sa forme actuelle, ne contient pas de moyens permettant de les accompagner correctement. Alors, pour ne pas accepter n’importe quel boulot, certains vont disparaître de l’aide sociale, et le non-recours va augmenter. »
Le CETU : Compte épargne-temps universel.
Une logique punitive que la CFDT dénonce également par la voix de la secrétaire nationale Lydie Nicol. « La conditionnalité des aides sociales et la pression de retour à l’emploi masquent la nécessité de disposer parfois, dans sa vie, de temps nécessaire à d’autres activités (dont l’aidance), un temps inévitablement mis à mal lorsque l’on est en emploi », développe-t-elle. « Nous nous félicitons d’ailleurs qu’au programme de l’agenda social, le gouvernement ait accepté l’ouverture d’une négociation sur le Cetu, qui doit permettre de sécuriser les parcours de vie. Selon la CFDT, la possibilité de faire une pause, de prendre du temps pour un proche ou pour soi, afin de se former, se reconvertir tout en se tenant éloigné de l’emploi pendant quelque temps, est une nécessité, surtout si l’âge de départ à la retraite est plus tardif. »
Le CETU, qu’en espère-t-on ?
À l’instar d’autres statuts déjà existants (aidants salariés, pompiers volontaires, élus locaux, responsables associatifs), comment penser de nouveaux droits à la retraite, à la formation pour tous ceux qui contribuent à cette « protection sociale rapprochée » sans bénéficier d’aucune reconnaissance sociale et institutionnelle ? Le Secours catholique souhaite que ce rapport appuie sa demande d’une mission d’information parlementaire sur le sujet. Mais sans oublier que certains n’ont tout simplement pas la capacité de contribuer parce que la solidarité n’est pas un choix, c’est une nécessité.
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« “Un boulot de dingue” – Reconnaître les contributions vitales à la société » PDF