Si les pratiques progressent dans les entreprises, le sujet des salaires reste largement tabou. Les élus du personnel ont encore parfois du mal à obtenir l’ensemble des informations.
Certes, les entreprises communiquent aujourd’hui régulièrement sur les salaires moyens, médians et leur répartition par tranches. Les élus disposent également d’informations sur les salaires minimums et l’évolution de la masse salariale. Toutefois, des zones d’ombre persistent, notamment concernant les rémunérations les plus élevées et les modalités d’attribution des primes individuelles. Une exception persiste particulièrement pour les cadres, dont les grilles salariales restent souvent opaques ou inaccessibles.
L’individualisation croissante des rémunérations soulève de nouvelles questions. Les promotions et augmentations individuelles font l’objet d’une certaine discrétion, officiellement pour éviter les tensions entre collègues. Cette pratique soulève des interrogations sur l’équité et la transparence du processus décisionnel.
Concernant l’égalité femmes-hommes, les entreprises montrent une volonté d’action, même si les résultats demeurent mitigés. Si les jeunes recrues féminines semblent mieux protégées contre les discriminations salariales, le rattrapage pour les femmes plus anciennes dans l’entreprise reste problématique.
Face à ces enjeux, de plus en plus de voix s’élèvent en faveur d’une transparence totale sur les salaires, une proposition qui trouve un écho favorable auprès de nombreux élus du personnel. Cette évolution pourrait être accélérée par l’arrivée de nouvelles générations sur le marché du travail, plus enclines à la transparence et au partage d’informations.
Cette mesure aurait le mérite de mettre fin à un flou persistant. En effet, selon une étude publiée le 8 avril 2025 par PageGroup et Indeed, un salarié sur six ne sait pas du tout où il se situe en matière de rémunération par rapport à la moyenne (à poste comparable) dans son entreprise.
Signe que la question de la transparence salariale reste tout de même un sujet qui n’a rien de banal, plus de la moitié des salariés (59 %) craignent de découvrir qu’ils sont moins bien payés que leurs collègues. Et si la transparence était le moyen de retrouver la confiance ?
Et la protection des données personnelles ?
La CFDT a demandé à Éric Delisle, chef du service des affaires sociales de la Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés), si les obligations des employeurs en matière de Règlement européen sur la protection des données (RGPD) entravaient les actions vers davantage de clarté à propos des rémunérations.
La transparence des salaires est-elle compatible avec les obligations des employeurs en matière de protection des données personnelles des salariés ?
Le salaire est sans conteste une donnée à caractère personnel. Le RGPD (règlement général sur la protection des données) est donc clair. L’employeur doit en assurer la confidentialité. Pendant très longtemps, il n’y avait pas de débat à ce sujet. Toutefois, un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 8 mars 2023 est venu nuancer cette position. Les juges de la plus haute juridiction ont jugé légitime la demande d’une salariée qui souhaitait connaître le salaire de ses collègues afin de prouver qu’elle était discriminée. Cette position fait à présent jurisprudence.
“Une personne qui s’estime lésée peut demander qu’on lui communique les salaires des collègues qui exercent le même métier dans l’entreprise ou qui ont un même niveau hiérarchique.”
Cela signifie qu’un employeur est obligé de montrer les feuilles de paie des salariés si on les lui demande ?
Un employeur doit aujourd’hui répondre positivement à une demande de communication des bulletins de salaire pour vérifier qu’il n’y a pas de pratique discriminatoire dans l’entreprise. Cela ne signifie pas qu’il doive rendre public l’ensemble des salaires. Une personne qui s’estime lésée peut demander qu’on lui communique les salaires des collègues qui exercent le même métier dans l’entreprise ou qui ont un même niveau hiérarchique.
On peut quand même dire que l’arrêt de la Cour de cassation marque un tournant en France sur la question de la transparence salariale.
La transcription à venir dans le droit français de la directive européenne sur le sujet devrait accentuer ce mouvement.
Comment expliquer cette évolution ?
Le rapport à la transparence, notamment sur les salaires, est culturel. Les pays nordiques ont très longtemps été beaucoup plus transparents que les pays latins, où parler d’argent restait un tabou. Mais on voit que les mentalités évoluent, notamment à l’aune de toutes les politiques mises en place dans les entreprises pour lutter contre les inégalités de salaires entre les femmes et les hommes. La société est très sensible, aujourd’hui, à cette injustice de genre, ce qui a pour conséquence de faire progresser la transparence salariale en général. Pour un employeur, invoquer la protection des données personnelles de ses salariés pour ne pas justifier sa politique de rémunération n’est pas ou plus possible. La justice est désormais claire sur cette question.