Au lendemain de la chute du gouvernement Bayrou et de la nomination d’un nouveau Premier ministre, la secrétaire générale de la CFDT, Marylise Léon, fait part dans une interview de son inquiétude face à une nouvelle période d’instabilité politique. Et rappelle les priorités de la CFDT en cette rentrée sociale chamboulée.
La France est de nouveau sans gouvernement. Comment analyser ce qui vient de se passer ?

Le résultat du vote de l’Assemblée nationale n’a pas été une surprise. La question de confiance posée par François Bayrou ne répondait pas aux enjeux de la période. Selon la CFDT, la question n’est pas de savoir s’il y a un problème de déficit public dans notre pays mais comment peut-on répartir les efforts de la manière la plus juste possible. Malheureusement, la nouvelle instabilité politique n’augure rien de bon pour le monde du travail.
Dans cette période chaotique, la CFDT est un pôle de stabilité. Nous devons poursuivre notre travail de syndicalistes en gardant notre boussole, à savoir l’intérêt des travailleurs. Nous jouons un rôle de vigie, à la fois pour peser sur les choix politiques et budgétaires mais aussi pour continuer à donner des repères aux travailleurs, dont l’exaspération qui prévalait avant l’été s’est transformée en colère. Et cette colère n’est pas près de disparaître.
Pourquoi appeler à la mobilisation le 18 septembre alors qu’il n’y a plus de gouvernement ? Et pourquoi ne pas avoir appelé à la mobilisation du 10 septembre ?

Nous sommes dans notre rôle d’organisation syndicale. Nous nous faisons le relais des aspirations des travailleurs dans un cadre syndical, avec nos mots d’ordre et nos méthodes d’action, ce qui n’est pas le cas de la journée du 10. La date du 18 septembre, elle, a été choisie avec l’ensemble des organisations syndicales autour de revendications communes. Il n’est pas question de « tout mettre à l’arrêt » ou de demander la démission du président de la République.
Les partis politiques se positionnent aujourd’hui comme des écuries présidentielles sans réellement apporter de réponses aux questions qui se posent à moyen et long terme. A contrario, à la CFDT, nous nous efforçons de penser le temps long.
C’est une manière, aussi, de marquer notre indépendance vis-à-vis du politique. C’est d’autant plus important que les partis politiques se positionnent aujourd’hui comme des écuries présidentielles sans réellement apporter de réponses aux questions qui se posent à moyen et long terme. A contrario, à la CFDT, nous nous efforçons de penser le temps long.
La question budgétaire reste néanmoins posée. Comment la CFDT veut peser dans les prochains mois ?

Il est utile de rappeler que la fin du gouvernement Bayrou ne signifie pas la fin du processus budgétaire. Un nouveau gouvernement va se mettre en place, et il y a fort à craindre que certaines idées refassent surface très rapidement – or les pires sont souvent celles qui reviennent le plus vite.
La CFDT n’a pas changé d’opinion. Nous demandons que les choix budgétaires soient débattus. Il faut une véritable concertation. Mais disons-le clairement : il n’y a pas grand-chose à garder des propositions faites par le Premier ministre en juillet dernier. Il faut tout remettre à plat.
Selon la CFDT, deux sujets doivent être abordés en priorité : la conditionnalité des aides publiques et la taxation des ménages les plus fortunés, la fameuse taxe Zucman.
Reconnaissons que, sur ces deux sujets, le débat public n’est pas à la hauteur, voire à la limite de la caricature.
Tu as souvent pointé la responsabilité des organisations patronales, ne voulant pas s’engager dans la période (négociation du Pacte de la vie au travail, “conclave retraites”…) Peut-on encore dialoguer avec le patronat ?

Nous sommes à un moment charnière avec les organisations patronales qui, par dogmatisme idéologique, n’ont clairement pas joué le jeu dans le cadre des discussions sur les retraites et n’ont pas voulu prendre leur part de risque. Quand on affirme vouloir peser et être une force de stabilité dans le pays, il faut être capable de dépasser sa popote interne. Aujourd’hui, je ne veux pas entendre le patronat dire que l’instabilité politique est insupportable alors qu’ils n’ont pas pris leurs responsabilités.
Le dialogue n’est pas rompu et n’est jamais inutile. Il doit en revanche produire des effets. Aujourd’hui, le patronat n’est tout simplement pas à la hauteur.
Cependant, le dialogue n’est pas rompu et n’est jamais inutile. Il doit en revanche produire des effets. Aujourd’hui, le patronat n’est tout simplement pas à la hauteur. Sur le partage de la valeur, par exemple, l’accord que nous avons signé au niveau national ne produit pas assez dans les entreprises et les branches parce que les employeurs ne respectent pas leur part du contrat.
Cette crise politique constitue aussi un marchepied aux idées d’extrême droite…

Politiquement, l’année qui vient de s’écouler fait figure d’énorme gâchis. Le front républicain qui a vu le jour en juin 2024 n’a pas perduré parce que les politiques n’ont pas été à la hauteur de la responsabilité que les citoyens ont assumée à ce moment-là en faisant barrage au Rassemblement national. Je dresse le constat aujourd’hui qu’aucune force politique n’a réellement montré une volonté d’ouverture.
Plus que jamais, le Rassemblement national est en position de force. Et cela, la CFDT ne peut s’y résoudre. C’est pour cette raison que nous ne renoncerons jamais à mener le combat contre ses idées, que ce soit à l’échelle nationale ou sur les lieux de travail.
Tout cela, c’est du carburant pour l’extrême droite. Plus que jamais, le Rassemblement national est en position de force. Et cela, la CFDT ne peut s’y résoudre. C’est pour cette raison que nous ne renoncerons jamais à mener le combat contre ses idées, que ce soit à l’échelle nationale ou sur les lieux de travail. Cela passe parfois dans des lieux inattendus. Les mandatés CFDT du conseil d’administration de la Caisse nationale d’assurance maladie s’opposent en ce moment même à un décret honteux qui concerne l’aide médicale d’État (AME). Vouloir supprimer certains soins en considérant que pour les personnes sans papiers (dont un grand nombre paie des cotisations et des impôts) ce n’est pas si grave est proprement insupportable.
Les soubresauts politiques et budgétaires ont fait passer au second plan la crise sociale. Pourtant, la liste des plans sociaux et restructurations ne cesse de s’allonger. Que faire ?

Nous nous devons d’accompagner les équipes. Beaucoup sont confrontées à des restructurations, des plans sociaux, des licenciements ou le non-renouvellement de CDD. Dans tous les secteurs professionnels, il existe des difficultés, que ce soit dans l’industrie, la chimie ou le commerce. Je pense aussi à tous les contractuels de la fonction publique territoriale qui ne sont pas renouvelés ; et au monde associatif, qui appelle d’ailleurs à une journée de mobilisation le 11 octobre.
Plus largement, nous devons renforcer le rôle des CSE afin d’éviter autant que possible les PSE et faire en sorte de maintenir l’emploi. Aujourd’hui, les entreprises ne jouent pas le jeu de la transparence à propos de leur stratégie. La CFDT plaide notamment pour conditionner l’homologation d’un PSE à l’utilisation des aides publiques dont elles ont pu bénéficier. Monster – détenue par deux multinationales, Apollo et Randstad – est l’exemple typique d’une entreprise en liquidation qui ne veut pas assumer l’accompagnement de ses salariés en voulant faire payer les suppressions de postes par l’assurance chômage.
Sur quels sujets pourrait-on avancer dans le cadre d’un agenda autonome ?

Nous souhaitons aborder les questions de l’emploi des jeunes, de la lutte contre les contrats courts et du temps partiel subi. Je suis certaine que, sur ces sujets, il est possible d’avancer. Et ce serait beaucoup plus intelligent que de parler d’une énième réforme de l’assurance chômage, dans laquelle semble s’entêter l’exécutif. Il faut que l’ensemble des organisations syndicales et patronales se réunissent rapidement. Ce sera aussi l’occasion de questionner le patronat concernant l’état d’avancement des négociations sur les classifications, la mixité des métiers ou la participation dans les entreprises de moins de 50 salariés.
La première préoccupation des travailleurs reste le pouvoir d’achat, il faut que le patronat apporte des réponses. Enfin, nous devons continuer à parler du travail, de son organisation.
Dans une période difficile sur le plan économique, la tentation est de ne parler que d’emploi et de chômage alors que les deux sujets sont liés. Il ne faut surtout pas opposer qualité du travail et taux d’emploi, comme cela a pu être fait par le passé. Les travailleurs veulent avoir leur mot à dire sur leur travail, réclament davantage d’autonomie. Il faut répondre à leurs aspirations.