Cotisations Agirc-Arrco : “On est en train de voler la retraite des Français”, selon la vice-présidente Brigitte Pisa

Le gouvernement a décidé de repousser d’un an le transfert du recouvrement des cotisations Agirc-Arrco vers les Urssaf. Mais pour Brigitte Pisa, vice-présidente (CFDT) du conseil d’administration de l’Agirc-Arrco, l’enjeu derrière cette mesure est la captation des finances du régime. C’est ce qu’elle détaille dans une interview donnée au journal Capital.

Depuis la loi de financement pour la Sécurité sociale (LFSS) pour 2020, il est prévu que le recouvrement des cotisations retraite soit transféré de l’Agirc-Arrco, régime de retraite complémentaire des salariés du privé, vers les Urssaf. Ce transfert, initialement prévu au 1er janvier 2022, a une première fois été repoussé d’une année. Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2023, discuté actuellement au Parlement, prévoit de nouveau de repousser la mesure d’une année. Mais pour Brigitte Pisa, cette mesure va bien au-delà d’un simple transfert technique. Pour elle, c’est l’avenir du régime qui est en jeu.

Capital : Êtes-vous satisfaite du report du transfert des cotisations vers l’Urssaf à 2024 ?

Brigitte Pisa : Notre conseil d’administration a demandé a minima le report en 2024, voire son abrogation. Pour nous, ce transfert n’a plus lieu d’être, en tout cas pas maintenant, juste avant une réforme des retraites qui est en cours de discussion. Ce qui nous inquiète c’est que l’amendement déposé par le gouvernement au PLFSS (qui prévoit ce report à 2024, ndlr) est beaucoup plus structurant. Il transfère aussi aux Urssaf la fiabilisation des données. Nous combattons cet amendement qui a été unanimement désapprouvé par toutes les organisations syndicales et patronales.

Capital : Le transfert de la fiabilisation des droits n’était-il pas prévu au départ ?

Brigitte Pisa : La loi de financement de la Sécurité sociale pour 2020 prévoyait au départ uniquement le transfert du recouvrement des cotisations de l’Agirc-Arrco vers les Urssaf avec un certain nombre de points non résolus pour savoir qui fait quoi. À l’époque, personne ne s’était inquiété du sujet car nous étions dans une réforme pour faire un régime universel. Aujourd’hui, nous n’en sommes plus là du tout. Donc il n’y a aucune raison logique que l’Agirc-Arrco transfère le recouvrement de ses cotisations aux Urssaf. Aucune entreprise n’a demandé ça. D’autant qu’aujourd’hui, si jamais il y a une erreur, nous revenons vers l’entreprise en l’appelant pour la prévenir qu’il faut corriger la déclaration sociale nominative. Cette correction au fil de l’eau rapporte en encaissement presque 800 millions d’euros par an à l’Agirc-Arrco. L’Urssaf contrôle a posteriori, donc nous ne faisons pas le même type de contrôle.

Capital : Pourquoi l’État s’accroche-t-il à cette mesure ?

Brigitte Pisa : Le sujet c’est de capter 80 milliards d’euros de ressources annuelles (montant des cotisations versées, ndlr), plus éventuellement les 60 milliards d’euros de réserve de l’Agirc-Arrco. Il n’y a aucun autre argument que celui-là aujourd’hui.

Capital : Mais il s’agit de transférer le recouvrement des cotisations, pas les réserves du régime…

Brigitte Pisa : Nous avons demandé à l’Urssaf si elle pourrait nous dire, à chaque fin de mois, quelle entreprise a payé ou n’a pas payé les cotisations, afin de fiabiliser les droits des salariés pour leur retraite. Leur réponse ? “Vous n’avez pas besoin de le savoir.” En gros, on va nous demander quelle somme est nécessaire pour payer les retraites chaque mois. Et puis, un jour, les Urssaf vont nous dire : “Eh bien non, là, on ne peut pas vous donner la somme totale mais vous avez des réserves, prenez sur vos réserves.” C’est tellement évident. Je ne dis pas que j’ai raison mais cela laisse imaginer un scénario catastrophe qui n’a aucune autre utilité que récupérer l’argent de l’Agirc-Arrco.

Capital : Ce qui veut dire qu’ensuite, ces sommes pourraient servir à autre chose que financer les retraites ?

Brigitte Pisa : À partir du moment où on ne nous dit pas qui a payé et qui n’a pas payé et qu’on nous attribue simplement une somme, nous ne maîtrisons plus du tout la gestion du régime. Ce qui fait que nous avons réussi cette année à augmenter les pensions de 5,12% (hausse le 1er novembre prochain, ndlr), c’est que nous maîtrisons parfaitement nos ressources. Nous pilotons notre régime sur 15 ans et pas sur une année de budget. C’est le casse du siècle en fait. On pique l’argent là où il est pour boucher les trous. Ce n’est pas possible !

Capital : Qu’est-il prévu pour éviter ce transfert ?

Brigitte Pisa : C’est un sujet éminemment politique qui doit être traité entre les leaders des partenaires sociaux et le gouvernement. J’espère qu’à un moment donné, les Français vont se rendre compte que l’on est en train de leur voler leur retraite. Le loup, c’est la captation et la spoliation des recettes de l’Agirc-Arrco et donc, à terme, la maîtrise du régime de retraite complémentaire des salariés du privé.

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